Faia Younan à cœur ouvert

Une voix du Levant

Diala Aschkar, Directrice artistique d’Orient Palms, France

Elle est une diva, une activiste, une jeune beauté syrienne et une source d’inspiration pour des millions de personnes. Faia Younan est une des nouvelles voix du Levant, une belle voix profonde qui chante un appel pour la paix et touche les gens au-delà des pays du Levant. Tout a commencé en 2014 avec une vidéo intitulée « À nos pays » – enregistrée avec sa sœur Rihan – devenue un phénomène de société vu 4 millions de fois sur Youtube. Deux années plus tard, elle sort son premier album : « Une mer entre nous ».

J’ai interviewé Faia à Beyrouth et Joulan Aschkar a fait de magnifiques portraits d’elle à Dhour Choueir.

Toutes les photos : Joulan Aschkar pour Orient Palms

Tu as grandi à Alep. Parle-moi de ta ville…

Je suis née dans un village qui s’appelle Al-Malikiyah, près de la frontière nord-est de la Syrie, mais nous avons déménagé à Damas puis à Alep quand j’avais environ 4 ans. Ainsi je me considère comme une fille d’Alep. Cette ville m’a tant donné. C’est une ville pleine de culture, les gens s’intéressent à la musique, à l’art, au sport… et bien sûr il y a cette cuisine d’une incroyable richesse. Au fait, on dit que les chefs et les cuisiniers des palais des sultans turcs venaient tous d’Alep, du fait de leur créativité et de leur ancien héritage culinaire.

Ce qu’Alep conserve pour moi
Vidéo réalisée par Catherine Ward & Houssam Abdul Khalek
Production : Houssam Abdul Khalek

Pour la musique, à travers l’histoire, Alep et l’Égypte étaient les deux principaux centres culturels de la région. Quand quelqu’un voulait chanter à Alep, il devait passer devant un jury pour décider s’il le pouvait. Ainsi de génération en génération la culture musicale s’est aiguisée et fait désormais partie de la vie quotidienne à Alep. Je suppose que j’ai absorbé comme une éponge ce genre de musique de qualité, c’est-à-dire le tarab (une forme de chant arabe envoûtant) et des artistes tels que Sabah Fakhry, Adîb al-Dayikh, Sabry Mudallal, Shadi Jamil…

J’ai grandi dans une maison où tout le monde chantait, même si aucun d’entre eux n’était professionnel. Papa chante toujours les chansons de Wadih el-Safi avec une bonne voix. Il nous faisait écouter toutes ces vieilles chansons. Ma mère chantait pour nous endormir, et je pense toujours qu’elle a la plus belle des voix, c’est émouvant.

Quand nous étions enfants, ma sœur Rihan et moi avions l’habitude d’utiliser de vieilles cassettes audio et d’enregistrer nos propres émissions et talk shows. Nous choisissions même des titres et des dates de diffusion pour chaque épisode : c’était probablement la première version de « À nos pays » ! Rihan présentait les nouvelles, et ça donnait quelque chose comme « Nos frères en Palestine sont tués quotidiennement… » et on percevait qu’elle n’était qu’une enfant, émue par la situation (Rihan Younan est désormais une journaliste présentant sa propre émission, « Métro », sur la chaîne de télévision Al-Mayadeen). Puis elle disait quelque chose comme « Et voici maintenant un intermède musical… », et j’intervenais en chantant « Tik tik tik yammi Sleiman… » (une chanson très populare de Fairouz, que l’on enseigne habituellement aux jeunes enfants) avec ma petite voix d’oiseau. Ces cassettes sont toujours à Alep. Nous ne pouvons pas retourner chez nous pour les récupérer.

Tu sais ce que je faisais d’autre à Alep ? Je décrochais l’interphone et je chantais pour que les passants m’entendent dans la rue. C’était mon premier compte Youtube ! Un jour, un des voisins est entré dans l’immeuble et ça faisait déjà bien 10 minutes que je chantais comme ça, et il a dit dans l’interphone : « Quelle belle voix ! » J’ai raccroché l’interphone en vitesse, terrifiée à l’idée qu’il sache qui j’étais.

Alors je suppose que ça n’a pas été difficile pour toi de commencer à chanter en public ?

Oui et non… pour certaines choses j’étais une enfant timide. Mais j’étais toujours partante pour chanter.

Chez les scouts, ils organisaient des petits concours de talents, que j’adorais. Quand j’ai eu neuf ans, j’ai participé à un concours d’anglais au niveau national et j’ai remporté le premier prix. Alors l’année suivante, j’étais très sûre de moi quand j’ai participé à un concours de chant.

J’étais une bonne élève en classe, et chaque professeur m’encourageait à participer dans sa matière : aucun ne s’attendait à ce que je veuille participer dans la catégorie du chant ! J’ai gagné contre 10 écoles mais je ne suis pas parvenue au niveau national. Ça montre que le niveau général des enfants de 10 et 11 ans était particulièrement élevé, parce que tous les participants savaient chanter correctement : ils pouvaient tenir la note avec une voix forte, ils étaient très bien entraînés, nombre d’entre eux participaient par ailleurs aux concours de lecture du Coran.

J’avais 10 ans. Mon premier refus dans la vie (rires).

Et à onze ans, vous avez déménagé en Suède… Comment as-tu continué à chanter ?

J’avais l’habitude de monter sur scène et de chanter aux mariages des cousins et aux réunions de famille. Mais jamais de concerts, même si je participais aux activités de l’école.

Quand j’ai perdu mon frère en 2008, j’avais seize ans, et chanter était le remède pour soigner mon âme, seule dans ma chambre, même si je ne chantais pour personne. J’ai pris l’habitude de m’enfermer, de jouer au clavier, et d’essayer des mélodies en chantant. C’était une façon de faire mon deuil et de surmonter mon chagrin, parce que j’étais tellement folle de colère et de tristesse, parce que je ne comprenais pas comment une telle chose avait pu arriver.

Tu revis tous ces souvenirs, tu dois supporter ton chagrin, alors j’ai trouvé cette façon créative, et j’ai pensé alors que tout ce que j’avais, c’était la musique. Bien sûr j’avais des proches à qui j’aurais pu parler, mais je me sentais plus à l’aise avec la musique.

En 2010, mes amis de l’école ont monté un groupe Facebook pour m’encourager à participer à « Swedish Idol », et quand ils ont obtenu 5000 likes, je me suis dit OK il faut y aller… Je me suis présentée aux auditions et je n’ai même pas dépassé la première des cinq étapes. C’était amusant, j’étais choquée : « Suis-je si mauvaise que ça ? » Pendant une semaine, je n’arrivais plus à chanter, j’était tellement déçue (rires). Mais tu sais, quand on te dit non, tu dois t’autoriser à être triste. C’est normal d’être triste, de comprendre que toutes les portes ne te seront pas toujours ouvertes. Mais quand au fond de toi tu y crois, alors tu trouveras un moyen de continuer.

Tu as fais tes études en Écosse ? Et à quel job as-tu postulé après ça ?

Oui, j’ai obtenu un diplôme en Économie et Management à Glasgow. Mon premier boulot c’était chez Sony music en Suède, au rayon des ventes, à la réception : des jeunes artistes m’envoyaient les démos de leur musique.

Ça doit être un signe…

Probablement ! En tout cas, alors que je travaillais, j’ai proposé ma candidature à un concours de talents de la MBC (une grande chaîne de télévision arabe) il y a trois ans. J’ai envoyé une vidéo, ils étaient intéressés et m’ont dit de venir. J’avais décidé que je voulais devenir chanteuse à plein temps et j’ai pensé que ce concours télévisé était ma chance de me lancer. Je suis venue à mes frais de la Suède à Beyrouth pour le casting : j’étais certaine que j’allais être sélectionnée, parce qu’à l’époque j’avais déjà une chaîne sur Youtube et que des gens me soutenaient et me poussaient à y aller. C’était mon cercle d’amis de Suède, d’Alep et leurs relations.

Mais je n’ai pas été retenue.

L’année suivante la MBC a produit « X-Factor », et quand ils ont vu le succès de « À nos pays », ils m’ont contactée et ont essayé de me convaincre de me présenter à nouveau.

Mais j’ai dit non merci et j’ai suivi mon propre chemin.

En 2014, pendant six mois avant « À nos pays », j’ai commencé à participer à des festivals en Suède. J’étais volontaire à la Croix rouge et nous avions beaucoup d’activités pour aider à l’intégration. Je participais et je chantais une ou deux chansons lors de ces événements.

Face aux progrès électoraux de l’extrême-droite en Suède, nous voulions montrer que nous étions aussi des immigrés, alors j’ai participé et chanté lors d’un événement. Je faisais déjà des choses avant « À nos pays ». Des causes auxquelles je crois.

Pendant les élections, en Suède, ils organisent d’énormes concerts pour encourager les jeunes à aller voter. Ils appellent ça « Rock the vote ». À l’origine c’est un concept américain, et ils en ont fait une version en Suède. J’étais connue comme une artiste locale dans ma ville et en Suède. Les gens me considéraient plus comme une fille qui chante pour des causes plutôt que comme une chanteuse. Après « À nos pays », une conséquence épatante a été que les gens en Suède se sont mis à me demander de chanter en arabe.

La vidéo « À nos pays » a été un incroyable succès. Raconte-moi comment c’est arrivé…

C’était l’été 2014. L’ambiance était chargée et désespérée. À l’époque Israël bombardait Gaza, au Liban le soi-disant État islamique avait enlevé des soldats libanais, en Syrie la guerre continuait dans plusieurs villes, et en Irak les habitants de Mossoul fuyaient leurs maisons. Ces quatre pays faisaient la Une des journaux.

C’était étouffant de voir les pays auquel nous tenions le plus ainsi ravagés, nous étions si loin en Suède et nous ne pouvions rien faire. J’étais démoralisée en allant au travail. J’écrivais dans mon journal au lieu de travailler parce que j’étais furieuse, je sentais que le silence lui-même participait à ces crimes.

Un jour j’étais assise avec ma famille dans le salon et nous regardions les informations, et toutes les chaînes racontaient la même chose. On a éteint la télé, il y a eu un moment de silence, et ma sœur Rihan a lancé : « tu sais je vais écrire ma propre version des informations… » et elle a commencé : « Et en Irak, c’est la même chose depuis 10 ans… et en Syrie depuis 3 ans… » Instinctivement je me suis mise à changer Bagdad (une chanson célèbre de Fairouz datant de la fin des années 1970), elle a continué à parler et j’ai continué à chanter, en même temps ; elle a parlé du Liban, j’ai chanté Li Beirut (Pour Beyrouth, une autre chanson emblématique de Fayrouz). Nous nous sentions mieux, nous sentions que nous avions trouvé notre voix.

À nos pays
Rihan & Faia Younan,
septembre 2014

Le lendemain, je me suis dit que nous devions le partager avec les autres ; j’ai dit à Rihan « Nous devons le faire ». Elle n’était pas convaincue, elle se demandait comme on pourrait le réaliser.

Mais pendant la journée au travail à Sony, je n’arrivais pas à me sortir cette idée de la tête, alors j’ai appelé un ami pour lui demander s’il pouvait nous prêter son studio à 18 heures. J’ai appelé Rihan et je lui ai dit qu’elle avait deux heures pour écrire un texte. Elle me l’a envoyé par Facebook (j’ai encore sa première ébauche). Elle a écrit quatre parties pour les quatre pays, et évidemment la plus difficile était celle à propos de la Syrie.

J’ai appelé mon amie vidéaste, Nadine ; elle est venue me voir dans la soirée, vers 23 heures, pour que lui expose mon idée. Le lendemain elle apportait sa caméra vidéo. Nous cherchions un endroit pour tourner, et nous nous sommes souvenues que mon père – qui est ingénieur civil – était en train de construire une villa. Nous lui avons demandé si nous pouvions y tourner. Comme ce n’était pas encore peint il a accepté. Les murs étaient encore bruts ; ça nous convenait. Et comme il n’y avait ni portes ni fenêtres, le vent soufflait dans nos cheveux comme si on avait installé un gros ventilateur. Tout a fonctionné pour le mieux. J’ai indiqué à mon amie quelles parties conserver pour chaque chanson, et lesquels allaient le mieux ensemble. Puis nous sommes allées au studio pour mixer.

Ensuite nous sommes parties en vacances aux États-Unis et nous avons un peu oublié l’enregistrement. Mais Rihan m’a dit qu’il avait encore besoin d’être monté et qu’on ne pouvait pas le poster en l’état. Ma mère nous a encouragées, nous demandant chaque jour quand nous allions le mettre en ligne. Finalement nous l’avons monté et nous l’avons posté en octobre.

Et nous sommes toutes les deux retournées au travail. Le soir ça a été comme une explosion. Le premier jour 30 000 vues. Le troisième, 250 000 vues. Les chaînes de télévision en Suède et dans le monde arabe voulaient nous interviewer. C’était en train de buzzer sur la radio de la BBC… Tout est arrivé si vite, nous n’y étions pas préparées, nous ne comprenions pas ce que arrivait. Imagine que tu fais quelque chose et que tu te retrouves avec des milliers de vues, de commentaires et de messages de gens que tu ne connais pas.

Alors comment as-tu géré ça ?

J’étais heureuse mais c’était trop. Je n’avais pas le temps de répondre à tout le monde. Il y avait la pression et le stress des médias tout au long d’octobre, novembre et décembre. Nous enregistrions différents talk-shows en Suède et en Syrie.

Rihan, Georges (le violoncelliste), Nadine (la réalisatrice) et moi sommes allés en Tunisie pour l’ouverture du festival de Carthage. L’événement était diffusé en direct : mes parents nous ont regardés sur la chaîne nationale tunisienne.

L’ambassade de Syrie était fermée à Tunis. Et tandis que notre pays et notre drapeau étaient marginalisés, nous étions émus de représenter la Syrie pour l’ouverture d’un aussi important festival en Tunisie. La réception du public a été incroyable. Les Tunisiens sont très cultivés, ils suivent l’actualité du Moyen-Orient et soutiennent la cause palestinienne. Ce sont des activistes, et ils sont de tout cœur avec nous. Je suis heureuse de retourner à Tunis pour un concert en décembre prochain.

Mais même après ce succès, tu as décidé de suivre ta route à ta façon…

Après « À nos pays », j’ai eu des propositions de la part de maisons de production et je les ai rencontrées. J’étais cette jeune fille excitée et je leur ai dit que mon rêve était de faire de la bonne musique. Mais j’ai vite compris qu’ils voulaient seulement faire de la musique commerciale.

Ensuite j’ai rencontré mon futur manager, Houssam, durant l’enregistrement d’un talk-show à T-Marbouta, un restaurant à Beyrouth ; il était alors le manager d’un groupe que j’apprécie à Damas. Puis je suis rentrée en Suède. Je voulais me lancer dans la chanson, mais je ne savais pas par quoi commencer, alors j’ai demandé à Houssam s’il avait le temps de s’occuper de moi. Il avait terminé son contrat avec ce groupe et avait postulé pour un doctorat en Australie mais avait essuyé un refus. Alors il m’a dit « Viens, travaillons ensemble ». Tout arrive pour une raison.

J’aime tes mains
Juin 2015
Produit par Houssam Abdul Khalek

Je voulais enregistrer mon premier single, mais je n’avais pas l’argent pour le faire, alors je me suis tournée vers le financement participatif (crowd-funding). C’était une façon d’impliquer le public et de montrer aux gens que je veux chanter avec eux, pour eux, avec leur aide, parce que je ne veux pas me tourner vers les gros labels et les maisons de production qui me feraient chanter leurs propres chansons, leur propre musique. Alors mettons-nous y ensemble et faisons de la musique qui nous ressemble.

Dors, mon chéri, dors
Décembre 2015
Paroles : Mowafak Nader
Musique : Mohannad Nasr
Produit par Houssam Abdul Khalek

Dans le monde arabe très peu de gens connaissent le crowd funding, alors on me demandait tout le temps ce que c’est… mais finalement ça a fonctionné et les gens étaient heureux de dire qu’ils étaient les producteurs de « J’aime tes mains » !

« J’aime tes mains » a été ton premier single en 2015. Quand t’es-tu installée au Liban ?

À l’époque je faisais des allers-retours entre la Suède et le Liban. Houssam gérait les choses ici au Liban. Mes parents étaient inquiets de me voir me consacrer à la chanson, parce qu’il n’y a aucun chanteur professionnel dans la famille, et nous ne connaissions personne au Liban. Je serai toujours leur bébé, et ils veulent que tout se passe bien pour moi. Je venais deux semaines au Liban, puis je rentrais deux mois en Suède. Puis deux mois à Beyrouth et un mois en Suède. Ça s’est fait petit à petit. Un jour m’a mère m’a demandé : « Est-ce que tu t’es installée à Beyrouth ? Tu es si sournoise, tu l’a fait si lentement. » Je lui ai dit que c’était juste pour une chanson, puis juste pour un concert. Et maintenant juste pour un album…

Tu as été bien occupée cet été : tu as fait une tournée en Europe avec Damon Albarn et l’Orchestre des musiciens syriens, et tu as enregistré ton album…

Oui, l’album est le projet de ma vie en ce moment. C’est mon plus gros investissement. Ma plus grande passion est de créer de la musique, parce que tout le monde peut chanter. C’est n’est pas ta voix qui importe. Ta voix est un don. L’important c’est ce que tu en fais. La chose la plus difficile de nos jours dans l’industrie du disque, c’est de faire de la musique de qualité, parce qu’au fond il y a tellement de belles voix. Beaucoup de gens peuvent chanter, prendre des leçons avec un prof de chant. Tu peux le constater avec ces émissions du genre « Arabs’ Got Talent » ou « Arab Idol ». À chaque saison tu as des centaines de voix, tant de belles voix. Qu’est-ce qui fait la différence ? Ce n’est pas de reprendre Oum Kalsoum. C’est de créer de la musique. Nous avons besoin de musique pour faire renaître les arts. Nous avons un recul dans les sociétés du monde arabe, mais nous pouvons le dépasser avec de la bonne musique, parce que c’est un cercle vicieux : l’art est affecté par la guerre et la récession. C’est pour cela que nous avons de la mauvaise musique à destination du grand public. Aucune attention n’est portée aux paroles. Et pour moi, les paroles sont plus importantes que la musique : ce sont les paroles qui transmettent l’idée.

Une mer entre nous, premier single de l’album
Écrit par : Khaled Haber
Arrangements : Rayan Haber
Produit par Houssam Abdul Khalek

Tous les textes de l’album sont très sincères : quand je les lis, je dois en tomber amoureuse, parce que sinon, ils ne toucheront pas le public.

Nous avons choisi les chansons les unes en fonction des autres pour l’album. Il y a un fil rouge dans les paroles. Les neuf chansons sont en arabe : la moitié en arabe classique, les autres en dialecte syro-libanais. J’aime l’arabe classique, ça donne du poids, tandis que l’arabe dialectal est plus proche des gens. La plupart des chansons parlent de la Syrie, mais elles pourraient tout aussi bien correspondre à tant d’autres de nos pays qui souffrent aujourd’hui. Même les chansons romantiques ont des thèmes patriotiques. J’ai essayé de trouver un équilibre, mi-sentimental mi-patriotique, mais je n’y suis pas parvenue : instinctivement je me suis trouvée à préférer les chants patriotiques, parce que j’ai pensé que c’est ce dont nous avons besoin.

Par exemple j’ai adoré le texte de « Ceinture-toi de mon amour ». J’avais la mélodie en tête, j’avais juste besoin de l’exprimer. J’ai ressenti beaucoup d’ardeur et de détermination : ceinture-toi de mon amour, ceinture-toi et combats avec mon parfum. On parle d’habitude de ceintures explosives. J’ai ressenti le rythme militaire et j’ai pensé que nous pourrions l’appeler l’Hymne des femmes du Levant.

La plupart des poètes et des compositeurs de l’album sont syriens qui vivent toujours en Syrie. Ils résistent à la guerre par la littérature, l’art et la beauté. Ce n’est pas seulement que je veux les soutenir : je veux que leurs voix soit entendues. Ils sont le reflet de ce que vivent les Syriens, qu’ils soient à intérieur ou à l’extérieur du pays. C’est pourquoi j’ai choisi de travailler avec eux. Certains sont connus, d’autres débutent, mais ils sont tous extrêmement talentueux.

La personne qui s’est chargée des arrangements de l’album est Rayyan Haber. Il est libanais. Nous travaillons ensemble depuis le premier jour : il avait composé et fait les arrangements de « J’aime tes mains ». Nous formons une bonne équipe : sur le plan musical il sait exactement quels instruments accompagnent bien ma voix, le rythme des chansons, tout… c’est un magicien. Il y a aussi plein de gens qui ont collaboré à l’album avec amour. Comme la graphiste Diala (rires)… Et bien sûr Houssam Abdel Khaled, le producteur. Il était de toutes les décisions, dans les moindres détails.

Et il a écrit une des chansons : « Zénobie ». Elle était la reine de Palmyre. C’est elle qui a fait venir les pierres pour construire la cité. Quand le soi-disant État islamique a détruit tant de choses à Palmyre nous étions dévastés ; c’est notre héritage… Alors Houssam a écrit cette chansons sur Zénobie, la reine qui a refusé de se soumettre aux Romains. Elle est morte pour son pays. Nous avons tous un peu d’elle en nous. Nous ne mourrons pas et aucune organisation terroriste de pourra prendre notre pays. Zénobie n’est pas dans la pierre, elle est dans le peuple. Et tant que nous serons là nous pourrons tout reconstruire.