Tu as grandi à Alep. Parle-moi de ta ville…
Je suis née dans un village qui s’appelle Al-Malikiyah, près de la frontière nord-est de la Syrie, mais nous avons déménagé à Damas puis à Alep quand j’avais environ 4 ans. Ainsi je me considère comme une fille d’Alep. Cette ville m’a tant donné. C’est une ville pleine de culture, les gens s’intéressent à la musique, à l’art, au sport… et bien sûr il y a cette cuisine d’une incroyable richesse. Au fait, on dit que les chefs et les cuisiniers des palais des sultans turcs venaient tous d’Alep, du fait de leur créativité et de leur ancien héritage culinaire.
Pour la musique, à travers l’histoire, Alep et l’Égypte étaient les deux principaux centres culturels de la région. Quand quelqu’un voulait chanter à Alep, il devait passer devant un jury pour décider s’il le pouvait. Ainsi de génération en génération la culture musicale s’est aiguisée et fait désormais partie de la vie quotidienne à Alep. Je suppose que j’ai absorbé comme une éponge ce genre de musique de qualité, c’est-à-dire le tarab (une forme de chant arabe envoûtant) et des artistes tels que Sabah Fakhry, Adîb al-Dayikh, Sabry Mudallal, Shadi Jamil…
J’ai grandi dans une maison où tout le monde chantait, même si aucun d’entre eux n’était professionnel. Papa chante toujours les chansons de Wadih el-Safi avec une bonne voix. Il nous faisait écouter toutes ces vieilles chansons. Ma mère chantait pour nous endormir, et je pense toujours qu’elle a la plus belle des voix, c’est émouvant.
Quand nous étions enfants, ma sœur Rihan et moi avions l’habitude d’utiliser de vieilles cassettes audio et d’enregistrer nos propres émissions et talk shows. Nous choisissions même des titres et des dates de diffusion pour chaque épisode : c’était probablement la première version de « À nos pays » ! Rihan présentait les nouvelles, et ça donnait quelque chose comme « Nos frères en Palestine sont tués quotidiennement… » et on percevait qu’elle n’était qu’une enfant, émue par la situation (Rihan Younan est désormais une journaliste présentant sa propre émission, « Métro », sur la chaîne de télévision Al-Mayadeen). Puis elle disait quelque chose comme « Et voici maintenant un intermède musical… », et j’intervenais en chantant « Tik tik tik yammi Sleiman… » (une chanson très populare de Fairouz, que l’on enseigne habituellement aux jeunes enfants) avec ma petite voix d’oiseau. Ces cassettes sont toujours à Alep. Nous ne pouvons pas retourner chez nous pour les récupérer.
Tu sais ce que je faisais d’autre à Alep ? Je décrochais l’interphone et je chantais pour que les passants m’entendent dans la rue. C’était mon premier compte Youtube ! Un jour, un des voisins est entré dans l’immeuble et ça faisait déjà bien 10 minutes que je chantais comme ça, et il a dit dans l’interphone : « Quelle belle voix ! » J’ai raccroché l’interphone en vitesse, terrifiée à l’idée qu’il sache qui j’étais.
Alors je suppose que ça n’a pas été difficile pour toi de commencer à chanter en public ?
Oui et non… pour certaines choses j’étais une enfant timide. Mais j’étais toujours partante pour chanter.
Chez les scouts, ils organisaient des petits concours de talents, que j’adorais. Quand j’ai eu neuf ans, j’ai participé à un concours d’anglais au niveau national et j’ai remporté le premier prix. Alors l’année suivante, j’étais très sûre de moi quand j’ai participé à un concours de chant.
J’étais une bonne élève en classe, et chaque professeur m’encourageait à participer dans sa matière : aucun ne s’attendait à ce que je veuille participer dans la catégorie du chant ! J’ai gagné contre 10 écoles mais je ne suis pas parvenue au niveau national. Ça montre que le niveau général des enfants de 10 et 11 ans était particulièrement élevé, parce que tous les participants savaient chanter correctement : ils pouvaient tenir la note avec une voix forte, ils étaient très bien entraînés, nombre d’entre eux participaient par ailleurs aux concours de lecture du Coran.
J’avais 10 ans. Mon premier refus dans la vie (rires).